Non, je ne suis pas gentille!

En juin, quand, avec mes collègues, nous décidâmes de la répartition des services, je demandai à ne plus avoir de quatrième.
Deux années en suivant j'ai eu ce niveau et ça a été une galère quand ce n'était pas simplement l'enfer!
Je retrouvais dans ces classes des élèves qui avaient été de gentils et sympathiques cinquièmes et qu'un seul été avaient transformés en enquiquineurs-casse-pieds-ramiers!
En quatrième les neurones ne sont plus les maîtres.
Place aux hormones!
Je n'en pouvais plus!

En revanche c'est avec plaisir que je signai pour deux classes de cinquième.
J'aime leur programme (le moyen-âge essentiellement).
Ils sont plus autonomes que les sixièmes mais pas encore blasés comme les quatrièmes.
Tout, ou presque les intéresse quand ça ne les passionne pas!

Jeudi dernier, tandis que je lâchai mes petits 6ème après une heure bien remplie, je me me suis aperçue, dans un premier temps, qu'il y avait un bouchon à la porte: impossible pour les élèves de sortir de manière fluide.
Quelque chose, ou certainement quelqu'un, les empêchait de sortir.

Quasiment à la même seconde j'entendis une première voix crier, s'adressant, je le supposais, à ceux qui venaient de passer du temps avec moi:
- Alors?.... Elle est gentille?
Le gamin eut-il le temps de répondre? je n'en sais rien car la même phrase fut hurlée par une seconde voix.

Grrrr................ Si j'entends une fois encore cette question, je sors répondre moi-même.
Et une troisième fois:
- Alors?.... Elle est gentille?

Tranquillement j'écartais mes sixièmes encore bloqués à l'intérieur, me plaçais sur le seuil où deux énergumènes, un garçon et une fille, serraient de près un petit en lui hurlant cette phrase aux oreilles.

Dommage pour eux, ils me tournaient le dos.
J'empoignais chacun par l'épaule et leur chuchotais d'une voix très menaçante:
- Non... Elle n'est pas gentille! Pas gentille du tout! Et surtout pas avec ceux qui sont bruyants devant sa classe!
En réalité, si j'ai bien commencé en chuchotant, j'ai monté ma puissance vocale au fur et à mesure de mes phrases, terminant avec une voix forte et fort menaçante.
Ils se sont figés, visiblement terrorisés
.
Maintenant fermement mes deux braillards devenus silencieux et surtout livides, je longeais la file en martelant:
-Mettez-vous par deux! rangez-vous! Le mur n'a pas besoin de vos appuis, il tient tout seul, faites comme lui! Et en silence!

Inutile de crier, la masse était déjà sous le choc.

Revenue à ma porte, et tenant toujours les trublions, je lançais:
-Mettez-vous en ordre alphabétique avant d'entrer.

Flottement dans les rangs, puis mouvements.
Ça hésite, ça se reprend et enfin ça se fige.

-Vous entrez et vous vous placez selon l'ordre alphabétique, le premier se mettant sur la chaise la plus éloignée de la porte et après on suit.

Et là, je te prie de croire que ça ne moufte pas.
Je pense que certains n'osaient même plus respirer.

J'entre la dernière, mes deux affreux toujours accrochés.
A eux je désigne deux places qui ne sont pas côte à côte mais qui font partie des plus proches du bureau.
- Essayer juste de bouger ne serait-ce qu'une oreille... menaçais-je.

Et pendant une heure, je leur explique, comme à toutes mes classes, comment l'année va se dérouler, ce que j'attends d'eux....
Sauf qu'avec les autres classes je le fais gentiment d'une part et à l'aide d'une vidéo-projection.
Avec ceux-là, toutes mes phrases ou presque commencent par: j'exige que...
Pas de vidéo.

A quelques minutes de la fin je conclue:
- Non, je ne suis pas gentille maintenant vous le savez!

Un garçon, de ceux qui s'agitait dans le couloir me regarde, lève le doigt et demande:
- ce sera toujours comme ça?
-Ça dépendra de vous!

Quand la sonnerie retentit, pas un geste, pas un semblant de mouvement pour quitter la salle.............

En effet, je dis à chaque classe que la sonnerie est une indication pour moi mais qu'ils doivent attendre mon signal pour ranger leurs affaires.
mais à eux j'avais dit:
-Quand la sonnerie se fait entendre, souvenez-vous que c'est moi qui décide si le cours est ou n'est pas fini. Si vous bougez sans que je vous l'aie dit, je vous garde quinze minutes de plus.

Or cette sonnerie annonçait la récréation!

Quand j'ai enfin prononcé la phrase magique:
- Vous pouvez y aller.

Ils se sont levés sans faire crier leurs chaises sur le carrelage, ils ont rangé leurs chaises, ils sont sortis.
Sans un bruit, sans un mot.

J'ai fermé la porte et j'ai ri!

Que c'est dur de faire la méchante-méchante pendant une heure!

Je pense qu'ils se souviendront de cette première heure en enfer!

Non, je ne suis pas gentille!

Edit: ce matin j'ai eu deux heures avec eux. Impeccables! On a travaillé, on a ri et tout s'est bien passé!
Dois-je en conclure que j'ai eu raison?.... Oui!