Monsieur,
je ne suis ni employée, ni ouvrière, ni cadre.
Non, Monsieur: je suis enseignante depuis quinze ans ou presque.
Oui, je fais partie de ces fonctionnaires dont vous vous détournez avec dégoût et dédain.
J'ai connu quelques réformes et beaucoup d'aménagements du programme.
Chaque jour, devant mes classes, je fais de mon mieux pour que chaque élève améliore ses connaissances du français, son goût pour la littérature, son envie de réussir.
Chaque soir, je lis et corrige des copies qui ne sont pas tous les jours d'un grand intérêt.
Je suis payée pour passer 18 heures devant mes élèves.
Et pour que ces dix-huit heures soient le plus efficaces possible, je dois travailler chez moi, le soir, les week-end et une bonne partie du temps appelé vacances.
Vous savez, ce temps où les établissements scolaires sont fermés!
Je passe plusieurs heures, très régulièrement, en dehors de mon temps de travail, à recevoir des parents et leurs enfants.
Parfois c'est pour régler un problème de comportement; parfois c'est pour remettre au travail un jeune qui décroche; d'autres fois il s'agit d'envisager son avenir.
Ces heures-là, ne me sont pas payées.
Je reste aussi, gratuitement, pour aider tel ou tel qui n'a pas compris la notion abordée en classe.
Je reste encore, bénévolement, pour remplir les documents administratifs.
Et je suis encore sur mon ordinateur, le soir, pour envoyer à un élève absent, le cours qu'il a manqué et les explications qu'il n'a pas pu entendre.
Tous les jours je refais une "trace écrite" que j'envoie à mes élèves dyslexiques, accompagnée d'un mot d'explication pour que leurs parents sachent de quoi il s'agit.
Toujours sans rétribution.
Autant vous dire que je suis loin des dix-huit heures et loin aussi des trente cinq. Au-delà même des trente-huit!
Je ne perçois pas la totalité de mon salaire chaque mois.
En effet, une partie est préservée par la Trésorerie afin de me payer au mois d'août et tous les jours où, si je ne suis pas devant ma classe, c'est parce qu'un calendrier ministériel en a décidé.
Ainsi donc, et contrairement à ce qui se dit quand les gens disent n'importe quoi, non! je n'ai pas plus de congés payés que quiconque en France.
Chaque année de nouvelles dispositions sont mises en place.
Chaque année nous perdons des collègues, partis en retraite et pas remplacés.
Chaque année aussi, calcul étrange, le nombre de nos élèves augmente.
Chaque année la consigne s'intensifie: de l'oral, que diable, de l'oral!
Chaque année je dois mettre un peu plus de points au programme.
Chaque année les nouveaux enseignants sont un peu moins formés à leur métier de prof.
Et chaque année la France se trouve un peu plus loin dans le classement quant à la réussite scolaire.
Serait-ce que les moyens ne sont pas en adéquation avec le nombre?
Parmi les quelques mille élèves, peu ou prou, à qui j'ai enseigné le français, la grammaire, l'orthographe, le vocabulaire et la littérature; mais aussi les bonnes manières, le bon niveau de langage; et auxquels j'ai redonné l'envie d'apprendre, l'envie de réussir, l'envie d'exercer tel métier, il s'en trouve quelques-uns maintenant qui doivent être employés, ouvriers ou cadres.
Ces employés, ces ouvriers, ces cadres, lancés, comme vous l'avez si bien dit, dans la compétition internationale.
Monsieur, avez-vous imaginé une seconde que ces employés, ces ouvriers, ces cadres sont ce qu'ils sont aujourd'hui parce que des professeurs, comme moi, hier, ont mis toute leur énergie pour leur donner les moyens de participer à cette compétition?
Que sera le futur si les enseignants, - lassés d'être pris pour des nantis, des fainéants, fatigués d'être insultés, non pas par leurs élèves, mais par ceux qui dirigent notre pays - cessent de faire leur travail avec toute la conviction qu'ils y mettent maintenant?
Quel sera le niveau de nos cadres, de nos employés, de nos ouvriers français face à la concurrence internationale quand vous aurez si bien démantelé l'école, si bien abîmé les conditions de travail des enseignants, que seule une poignée continuera d'enseigner?
Faudra-t-il que l'école ne soit plus que privée? Que l'instruction ne soit plus que le privilège de quelques-uns? Devrons-nous envoyer nos enfants à l'étranger -pardon! ailleurs en Europe!- pour qu'ils y reçoivent l'instruction de qualité que leur pays ne sera plus capable de leur fournir?
Certes, mon statut est protégé. Mais seulement protégé du chômage!
Certes! C'est déjà bien!
Croyez-vous vraiment que ça soit suffisant?
Je ne parle pas pas de mon salaire qui n'a pas augmenté depuis des années.
Je ne parle pas de tout ce qui fâche les syndicats enseignants.
Je réagis à vos paroles, blessantes, insultantes.
Faut-il que vous ayez souffert durant votre scolarité pour éprouver une telle haine des enseignants!
Votre attitude à notre égard n'est pas digne de vos fonctions, Monsieur. Je croyais, naïvement, que vous étiez le Président de tous les Français.
Vous voulez vous faire passer pour le défenseur du petit, de ceux de "la France d'en bas"?
Vous n'êtes pas crédible, Monsieur.
Je ne vous intéresse pas? Mes collègues enseignants ne vous intéressent pas?
N'ayez crainte, vous ne nous intéressez pas non plus!
Votre dédain, Monsieur, je vous le renvoie.
6 commentaires:
Bravo :)
(Oui les revenantes reviennent toujours ! hihihi)
(Biz au héros)
Bien envoyé !
Oh! Manue!
Merci Karine!
Je suis de +en+ persuadée que ce démantèlement de l'école a une raison hautement égoïste: le pouvoir à quelques "nantis" qui iront faire étudier leurs enfants à l'étranger ou dans des écoles coûteuses et efficaces, et qui resteront entre "même classe de riches", et pour le reste de la population "laborieuse" = qui travaille, eh bien rien du tout, un niveau tellement bas qu'on pourra enfin leur faire croire ce qu'on voudra et qu'on pourra les gouverner sans avoir de compte à leur rendre....
C'est dramatique car l'esprit critique disparait à mesure que la culture s'efface....
Bien sûr! L'ouvrier sans culture sera bon à tondre sans jamais pouvoir se défendre efficacement! C'est alors qu'il ne sera plus du tout protégé!! Ni du chômage ni de l'exploitation!
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