Mais sache d'ores et déjà qu'il y a du positif. Du TRES positif!
Cependant il me paraît plus intéressant de te parler de mes gnomes en te contant un événement qui s'est passé ce matin.
Le contexte: en classe de 3ème.
Pour les besoins de l'Histoire des Arts (que les spécialistes appellent HidA), je place une semaine d'étude autour de l'affiche rouge afin de pouvoir étudier ensuite Strophes pour se souvenir d'Aragon ainsi que la lettre de Missac Manouchian à sa femme.
Je te passe les détails techniques.
Le 21 février 1944, les murs de Paris sont couverts de grandes affiches
rouges qui annoncent l'exécution de 23 "terroristes" du groupe dirigé
par Missac Manouchian, membre des FTP (Francs Tireurs Partisans), qui avaient
organisé des actions de guérilla contre l'occupant allemand. Cette affiche est passée à la postérité sous le nom de "l'affiche rouge"
Hier nous avions travaillé sur la composition de l'affiche: couleur, forme, disposition et le message implicite lié à cette composition.
Aujourd'hui, nous avons "zoomé" sur les photos des dix hommes et surtout sur les étiquettes situées sous chaque portrait.
Les gnomes constatent que chaque nom est suivi d'une mention de l'appartenance religieuse ou politique (juif, communiste, rouge) puis de la nationalité.
J'arrête un instant l'étude afin de préciser que non, les juifs n'ont pas été les seuls à être déportés: les communistes, aussi, ainsi que les homosexuels qui ont dû porter un triangle rose comme les Juifs une étoile jaune.
C'est alors que Témignonne a levé une main hésitante pour poser cette question qui me laisse pantoise (parce que ce n'est pas la première fois que je l'entends): "Mais, madame, comment ils savaient que c'étaient des homos? Ça ne se voit pas?"
A quoi, de ma voix la plus amène, la plus douce aussi, je réponds:
"Et Juif? Ça se voit?"
La gamine a commencé une réponse:
"Ben qu'en même...."
Puis elle a hésité, gênée....
Il est des certitudes, des doutes, des questionnements que je prévois (ou que je provoque, c'est aussi ça, mon métier!).
Tu te doutes bien que ça, ça en fait partie.
Magie de l'Internet, j'appuie sur un bouton et une image apparaît qui détaille les points qui permettent de reconnaître un juif: le nez, les oreilles...............................
Aucun doute, Témignonne est mal à l'aise et la classe comprend illico où je vais et ce que je veux dire.
Soyons clair! Je ne lui en veux pas à la petite! Je fais juste le même constat chaque année: les idées préconçues ont la vie dure! Et mon boulot, c'est aussi de faire réfléchir sur ces idées-là pour les combattre!
Après quoi une belle discussion s'est engagée et le cours a pris fin.
En sortant ils avaient bien compris ce qu'est la manipulation, la force de la masse, l'instinct grégaire dans ce qu'il a de négatif.
Voila une heure qui fait chaud au coeur et qui devrait les marquer durablement.
C'est eux qui ont trouvé les réponses, tout seuls!
Au passage ils ont appris du vocabulaire tout beau tout neuf pour eux.
J'ai ce soir la certitude d'avoir fait pousser quelques neurones.....
Jardinière de neurones, c'est un beau métier non?
Et, pour mémoire, je te fais cadeau du texte d'Aragon:
Strophes pour se souvenir
Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
Louis Aragon, Le Roman Inachevé
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.
Louis Aragon, Le Roman Inachevé